Notre génération de dirigeants a été éduquée avec la conviction que « la seule responsabilité sociale d'une entreprise est d'accroître son profit ». Ce titre d'un article de Milton Friedman, publié le 13 septembre 1970 dans le « New York Times Magazine », synthétise sa théorie. Dans la filiation de cette pensée, l'intérêt de l'actionnaire a depuis une quarantaine d'années constitué l'objectif prépondérant de l'entreprise. Cette « shareholder value » s'est construite sans beaucoup de considération pour les autres parties prenantes, et parfois en dépit de leur intérêt. Salariés, environnement, clients et fournisseurs ont été les perdants de cette inscription ultralibérale. En France, la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises a par exemple diminué de 75 à 68 % entre 1983 et 2011.
Parallèlement, l'épuisement de ressources non renouvelables, le dérèglement climatique, la perte de biodiversité et le manque d'eau illustrent les risques que ce modèle ultralibéral fait peser sur l'environnement. Un modèle économique qui a de toute évidence atteint une limite. Il est désormais démontré que « la main invisible du marché », qui devait nous conduire à l'intérêt général par la somme des intérêts individuels maximisés, n'a pas rempli cet objectif et a, au contraire, entraîné un niveau de risque global élevé, une concentration de la richesse et un bonheur individuel jugé insuffisant.
Symétriquement, l'Etat, affaibli par le poids des déficits, n'est plus perçu comme disposant des moyens de résoudre les enjeux de bien commun. Les solutions classiques du marché, d'une part, et de l'Etat, d'autre part, n'ont donc pas permis d'ancrer l'intérêt général au coeur de la vie collective. La frustration des concitoyens qui en découle conduit au succès de leaders politiques « antisystème ».
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