Repenser l'organisation et le financement de notre défense s'impose aujourd'hui. Mais ce serait une erreur historique de déprioriser le développement durable par rapport à la défense pour garantir notre souveraineté. La défense construit la souveraineté militaire. La souveraineté économique limite notre dépendance vis-à-vis de pays tiers. Et le développement durable porte des business models qu'il est impératif de renforcer pour assurer cette souveraineté économique.
Par exemple, les énergies renouvelables et nucléaires permettent de construire l'indépendance énergétique de la France. Nous importons environ la moitié de l'énergie que nous consommons - une facture de 130 milliards d'euros en 2023 - et 99 % des combustibles fossiles et, ce, de pays qui ne sont pas tous nos alliés. Leur prix n'est pas à l'abri de nouvelles hausses. Les énergies décarbonées constituent une forme d'assurance de notre pouvoir d'achat. Accélérer l'électrification de nos équipements, diminuer notre consommation d'énergie en isolant les bâtiments et en améliorant leur efficacité énergétique relève du bon sens pour diminuer cette dépendance. C'est aussi une source d'activités. De grands groupes français sont des champions de ces métiers à l'échelle internationale.
A risque : notre approvisionnement en énergie et en matières premières
Autres modèles d'affaires du développement durable, l'écoconception et le recyclage permettent de produire des biens tout en minimisant l'achat de matières à des pays tiers, par exemple de métaux, presque intégralement importés, ce qui crée une vulnérabilité de nos chaînes d'approvisionnement. En cas de conflit avec les pays producteurs, ces chaînes de valeur pourraient être durement affectées. Or là aussi il s'agit souvent d'Etats qui ne sont pas historiquement nos alliés et dont nous ne partageons pas les valeurs ni les pratiques. La Chine produit ainsi 70 % des terres rares et est en quasi-monopole concernant plusieurs autres métaux.
Le développement durable n'est pas une utopie désincarnée des réalités économiques mais au contraire un levier déterminant de notre souveraineté économique, donc de notre souveraineté tout court. Compte tenu du caractère limité des ressources naturelles de l'Europe en comparaison des grands pays, Etats-Unis, Russie, Chine, les économiser et les recycler est stratégique.
Durabilité ou rentabilité : le faux dilemme qui coûtera cher
Ce dilemme est non seulement dépassé mais dangereux. A l'échelle macroéconomique, le coût de l'inaction climatique est bien supérieur à celui de l'investissement dans la transition. Les dommages liés aux dérèglements climatiques pourraient représenter jusqu'à 50 % du PIB par an d'ici la fin du siècle, selon plusieurs études dont une du National Bureau of Economic Research datant de novembre 2024.
Le développement durable n'est pas une utopie désincarnée des réalités économiques mais au contraire un levier déterminant de notre souveraineté économique.
Faut-il attendre d'être confrontés à cette situation pour agir à l'échelle ? En ayant laissé la Chine préempter les modèles et les ressources du développement durable ? Adopter une « règle d'or » verte pour libérer les investissements durables des contraintes budgétaires européennes, aux côtés de celle en cours d'instruction concernant la défense, serait un pas essentiel.
Il est urgent d'accélérer la transition
De nombreux événements climatiques extrêmes ont à nouveau ponctué les derniers mois. 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850. La température moyenne a augmenté de 1,6 °C par rapport à l'ère préindustrielle, dépassant pour la première fois le seuil de 1,5 °C que l'Accord de Paris fixait comme objectif pour 2100. Rappelons qu'au-delà de ce niveau, la probabilité d'une bascule vers un emballement incontrôlable du réchauffement augmente rapidement.
Nous nous rapprochons du chaos si nous ne transformons pas nos modèles radicalement et rapidement. A l'échelle européenne et française, le retrait des décideurs politiques vis-à-vis des enjeux environnementaux est paradoxal. Les dérèglements environnementaux et la dépendance de nos modes de vie aux énergies fossiles appellent à une réponse adaptée, forte et rapide vis-à-vis de nos concitoyens et de nos entreprises, dont la capacité à opérer sera gravement mise en cause.
Nous pouvons tous, par des pratiques plus responsables, accélérer la transition vers une économie et une société plus durables. L'éthique nous y oblige, mais aussi la nécessité de protéger nos entreprises, nos concitoyens et notre souveraineté économique.
Alain Grandjean est associé chez Carbone4 et président de The other economy.
Fanny Picard est fondatrice et présidente d'Alter Equity.
Alain Grandjean et Fanny Picard
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