Tout en elle appelle à la quiétude. Fanny Picard parle d’une voix douce, prenant le temps de mesurer la portée de chaque mot avant de le prononcer. Son bureau, d’un blanc immaculé, parfait cette sensation de sérénité.
Il lui a fallu de nombreux sacrifices avant d’atteindre cet équilibre. À l’approche de la quarantaine, elle quitte la finance « pure et dure » pour monter Alter Equity, un fonds d’investissement éthique correspondant davantage à ses valeurs. Une décision qu’elle a longuement réfléchie.
« J’ai la conviction que les entreprises pourraient être plus respectueuses des personnes et de l’environnement. J’ai essayé d’agir mais il était trop difficile de faire évoluer le système. J’ai préféré le quitter », confie-t-elle.
« Rendre le monde meilleur »
Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Fanny a toujours cherché un sens à sa vie. Des décès familiaux successifs l’ont confrontée jeune à la mort. « Cela m’a poussée à me demander : qu’ai-je envie d’avoir réalisé pour supporter que la vie s’arrête ? » Ces questionnements la structurent très tôt dans sa volonté d’agir.
À 20 ans, elle rêve de devenir présidente de la République. « Pour rendre le monde meilleur, assure Fanny. J’ai toujours pensé que le sens était dans l’intérêt collectif. » La jeune étudiante se lance dans la finance, afin d’acquérir une autonomie financière et de mener, à terme, une carrière politique.
En parallèle de sa carrière, notamment à la banque d’affaires Rothschild & Cie, puis dans la société d’investissement Wendel, elle côtoie ainsi le monde politique. Mais face à sa violence, elle comprend que cet univers ne sera jamais compatible avec son éducation, respectueuse des règles et des autres.
La Seconde guerre mondiale dans un coin de la tête
Comment agir autrement ? Elle s’interroge. Son histoire familiale résonne alors en elle. Ses grands-pères, tous deux résistants, l’ont abreuvée de livres sur la Seconde Guerre mondiale. « C’est une histoire très présente dans ma manière de regarder le monde. Elle m’a permis de percevoir combien une différence peut entraîner une discrimination, voire des actes plus graves. »
Comme une évidence, la lutte contre les discriminations s’impose à elle. Elle rejoint l’association Mozaïk RH, avec laquelle elle place en stage dans de grandes entreprises les jeunes des quartiers défavorisés.
Mais plus elle s’investit, plus la dichotomie entre ses valeurs et sa vie professionnelle est difficile à supporter. En 2006, Fanny n’y tient plus. Elle quitte Wendel.
Les hommes puis l’environnement
Si cette décision lui permet d’être en accord avec elle-même, elle n’est pas sans conséquences. « L’entreprise connaissait un important succès, j’y avais une responsabilité significative. Quand vous partez dans ce genre de situation, les autres pensent que vous avez été renvoyé. Affronter ce regard est loin d’être agréable », souligne-t-elle.
La femme à la volonté inébranlable a toutefois un projet en tête. Elle veut monter un fonds pour aider les jeunes des quartiers à lancer leurs initiatives. Le concept se précise au fil de ses rencontres. Alain Grandjean, l’un des grands experts des questions d’énergie et de climat, contribue à faire évoluer sa vision du monde.
Elle qui n’avait alors « aucune conscience écolo » prend la mesure des enjeux environnementaux. D’où l’idée de créer un fonds d’investissement non seulement utile aux hommes, mais aussi à l’environnement.
« On peut toujours aller plus loin »
Mais le chemin est long avant de pouvoir financer les premiers projets. Pendant six ans, Fanny peine à lever des fonds. Après le krach boursier de 2008, son discours sur la responsabilité sociale des entreprises suscite en effet de nombreuses réticences. « Les investisseurs restaient sceptiques quand je leur disais que l’intérêt général et le rendement financier étaient compatibles », déplore-elle.
Le marché financier n’est pas encore prêt à se lancer dans la finance responsable. Ce n’est qu’en septembre 2013 qu’elle parvient à construire une structure pérenne. Aujourd’hui, elle l’avoue : « Si j’avais su que cela allait prendre autant de temps, je ne sais pas si je l’aurais fait. »
Pour autant, elle ne reviendrait dans son « ancienne vie » pour rien au monde. « On peut toujours aller plus loin », sourit l’ambitieuse femme, qui a gagné le prix « Espoir » de la femme d’influence économique en 2015. Quant à son rêve de faire de la politique, elle ne l’a jamais vraiment oublié. « Je considère que mon travail a une finalité politique. On peut avoir une action sur le monde en dehors de l’univers étatique. »
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Un fonds d’investissement responsable
La recherche de la rentabilité peut être compatible avec une pratique éthique des affaires. C’est en tout cas la philosophie d’Alter Equity, un fonds d’investissement lancé par Fanny Picard en 2013, qui finance des entreprises capables d’une croissance économique pérenne et à impact positif sur l’environnement ou sur l’homme. Celles-ci s’engagent également à suivre un business plan extra-financier, afin de progresser vers davantage de responsabilité sociale et environnementale dans leurs pratiques de gestion. Les six projets financés à ce jour œuvrent notamment dans l’économie d’énergie, l’énergie renouvelable, le recyclage, ou encore les produits bio.
Par Lauriane Clément
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